lundi 4 avril 2011

Elbow - Build a Rocket Boys !

Je suis assez d'accord !

Elbow - Build a Rocket Boys !: "

Perfectionnement


C'est quoi, un groupe rock parfait ? Je sais, la question est naze, en particulier dans le cas d'Elbow dont la musique dentelée ne répond pas vraiment aux critères énergétiques du rock stricto sensu. Sinon c'est quoi, une discographie parfaite ? Peut-être bien, comme chez Elbow, celle qui commence par un coup d'essai effarant de maturité, le genre d'excellence naïve qui ne s'acquiert qu'après dix années de galère, pour se poursuivre par un fascinant jeu de dominos où chaque album fait tomber le suivant selon une trajectoire trop cohérente pour ne pas sembler préméditée. Pourtant, combien de carrières ainsi bâties n'ont-elles fini par susciter le moins poli des ennuis ?

Alors, quelle est cette prétendue perfection que nous inspire le combo mancunien ? Tout simplement, sans doute, l'absence totale de reproches qu'on serait à même de lui adresser. Elbow est lyrique mais jamais pompier ; Elbow est contemplatif mais jamais chiant ; Elbow est aventureux mais jamais autiste. Et comme pour se prouver que ces types doivent être des mecs bien, on notera que c'est le seul groupe important, avec U2 et Radiohead, à n'avoir jamais changé de line-up à ce stade de son parcours. En plus, le capital sympathie d'Elbow n'a fait que fructifier au fur et à mesure que ses albums confirmaient un talent d'exception, sanctionné par un feedback commercial de plus en plus maigrichon. Le genre de disproportion qui, inversée, aurait suscité méfiance et snobisme mais qui, sous ce rapport bénéfique, rendait le quintette d'autant plus chéri.

On en serait presque venu à penser que le groupe était trop bien pour ce monde. Pourtant, la suite des événements nous a curieusement donné tort. Viré par son label, Elbow sortait il y a trois ans “The Seldom Seen Kid”, album comme toujours lumineux mais moins frontalement que ses prédécesseurs ; entendez que sa valeur marchande intrinsèque ne semblait en rien devoir lui promettre un avenir commercial plus radieux. Et puis il y a eu le Mercury Prize. Décerné par des gens de goût, il venait récompenser sur le tard des artistes incapables de décevoir, comme pour saluer déjà l'ensemble d'une carrière impeccable. Et les ventes d'Elbow de décupler dans les mois qui suivirent, sauvant au passage le groupe de la banqueroute alors qu'il avait misé ses économies sur ce dernier cheval. Douloureux paradoxe : il faudrait désormais partager Elbow avec le plus grand nombre, mais les circonstances en ont fait la condition sine qua non de leur survie.

Et le groupe accepte, sans réel enthousiasme, de quitter le statut discret qui a fait son bonheur durant des années, pour devenir soudainement prophète en son pays. S'institutionnaliser, en somme. Dès lors, selon le propre aveu du chanteur Guy Garvey, “Build a Rocket Boys !” est le premier disque qu'Elbow a enregistré à la merci des attentes. Et le résultat, heureusement, ne dénote pas la moindre intention mercantile. Contrairement à ce que pouvaient espérer les amateurs d'un Elbow hymnique, prêt à faire chanter les stades à grand renfort de chœurs, le groupe a creusé plus avant la veine épurée où s'épanchaient ses titres les moins radio-amicaux, et seule Open Arms mettra l'eau à la bouche des inconditionnels de Grace Under Pressure ou autres One Day Like This, épiques épiques et colegram.

Pour le reste, Elbow joue sur les nuances qui séparent le gris du blanc cassé, profil bas et down-tempo, sans que sa modestie ne passe à aucun moment pour de la fadeur (Jesus Is a Rochdale Girl ou The River, exemples d'épure). D'autre part, quand il prend au quintette de saupoudrer ses chansons d'épices, il le fait avec un sens surprenant de l'harmonie, en appliquant à sa musique les préceptes de la grande cuisine moléculaire ou en tordant le cou aux clichés de l'exotisme facile (High Ideals, comme un Mexique parallèle au climat sibérien ; White Love, dédale de portes qui s'ouvrent et se referment). Souvent, on attend de la chanson qu'elle quitte son état de tranquillité, persuadé d'entendre une tension quand tout n'est qu'apaisement. L'explosion n'a pas lieu car la colère est absente : elle a déserté Elbow, groupe en paix avec lui-même et pour qui l'heure est à la nostalgie, mais teintée d'une sereine acceptation (The Night Will Always Win, le grandiose Lippy Kids).

L'album, disons-le pour finir, renferme aussi l'un des plus beaux morceaux jamais enregistrés par Elbow : The Birds fait partie de cette catégorie rare, de ces chansons magiques qui s'étendent sur huit minutes sans qu'on parvienne à les compter, une mini-symphonie prog qui condense tout le savoir-faire du claviériste-producteur Craig Potter, véritable... sorcier sonore responsable en grande partie de l'identité musicale des Mancuniens. Si “Build a Rocket Boys !” n'est pas forcément aussi excitant que les fougueux débuts amorcés avec “Asleep in the Back”, c'est qu'il s'agit d'un disque totalement maîtrisé, exempt de défauts – trop exempt sans doute. De la musique d'adultes, pour les adultes. Classic rock ? Allons, évitons les gros mots : Elbow est simplement un groupe qui s'est trouvé, qui sait qui où il en est, et qui l'exprime à la perfection.

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